FLAUBERT Gustave (1821-1880).

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FLAUBERT Gustave (1821-1880).
L.A.S. « Gve Flaubert », Paris 14 janvier [1857], à Élisa SCHLESINGER ; 4 pages in-8 sur papier bleu. Très belle lettre racontant à son amour de jeunesse le procès de Madame Bovary. [Élisa SCHLESINGER (1810-1888), née Foucault, femme de l'éditeur musical Maurice Schlesinger, fut le premier amour de Flaubert qui la rencontra à Trouville, alors qu'il n'avait que quinze ans ; elle a servi de modèle au personnage de Madame Arnoux dans L'Éducation sentimentale.] « Comme j'ai été attendri, chère Madame, de votre bonne lettre ! Les questions que vous m'y faites sur l'auteur & sur le livre sont arrivées droit à leur adresse, n'en doutez pas : voici donc toute l'histoire. La Revue de Paris où j'ai publié mon roman (du 1er 8bre au 15 Xbre) avait déjà, en sa qualité de journal hostile au gouvernement, été avertie deux fois. Or, on a trouvé qu'il serait fort habile de la supprimer d'un seul coup, pr fait d'immoralité et d'irréligion, si bien qu'on a relevé dans mon livre, au hasard, des passages licencieux & impies. J'ai eu à comparaître devant Mr le juge d'instruction, & la procédure a commencé. Mais j'ai fait remuer vigoureusement des amis, qui pr moi, ont un peu pataugé dans les hautes fanges de la capitale. Bref, tout est arrêté, m'assure-t-on, bien que je n'aie encore aucune réponse officielle. Je ne doute pas de la réussite, cela était trop bête. Je vais donc pouvoir publier mon roman en volume. Vous le recevrez dans six semaines environ, je pense - et je vous marquerai, pr votre divertissement, les passages incriminés. L'un d'eux - une description d'extrême- onction - n'est qu'une page du Rituel de Paris, remise en français ; - mais les braves gens qui veillent au maintien de la Religion ne sont pas forts en catéchisme. Quoi qu'il en soit, j'aurais été condamné, condamné quand même, - à un an de prison, sans compter mille francs d'amende. De plus, chaque nouveau volume de votre ami eût été cruellement surveillé et épluché par MM. de la police, et la récidive m'aurait conduit, derechef sur “la paille humide des cachots” pour cinq ans : en un mot, il m'eût été impossible d'imprimer une ligne. Je viens donc d'apprendre : 1° qu'il est fort désagréable d'être pris dans une affaire politique ; 2° que l'hypocrisie sociale est une chose grave. Mais elle a été si stupide, cette fois, qu'elle a eu honte d'elle-même, a lâché prise & est rentrée dans son trou. Quant au livre, en soi, qui est moral - archi- moral, & à qui l'on donnerait le prix Montyon s'il avait des allures moins franches (honneur que j'ambitionne peu), il a obtenu tout le succès qu'un roman peut avoir dans une Revue. J'ai reçu des confrères de fort jolis compliments, vrais ou faux, je l'ignore. On m'assure même que Mr de Lamartine chante mon éloge très haut - ce qui m'étonne beaucoup, car tout, dans mon œuvre, doit l'irriter ? - La Presse et Le Moniteur m'ont fait des propositions fort honnêtes. - On m'a demandé un opéra-comique (- comique ! comique !) et l'on a parlé de ma Bovary dans différentes feuilles grandes & petites. Voilà, chère Madame, & sans aucune modestie, le bilan de ma gloire. Rassurez-vous sur les critiques, ils me ménageront, car ils savent bien que jamais je ne marcherai dans leur ombre pr prendre leur place. Ils seront, au contraire, charmants. Il est si doux de casser les vieux pots avec les nouvelles cruches ! Je vais donc reprendre ma pauvre vie si plate & tranquille, où les phrases sont des aventures et où je ne cueille d'autres fleurs que des métaphores. J'écrirai comme par le passé, pour le seul plaisir d'écrire, pour moi seul, sans aucune arrière-pensée d'argent ou de tapage. Apollon, sans doute, m'en tiendra compte, et j'arriverai peut-être un jour à produire une belle chose ! - car tout cède, n'est-ce pas, à la continuité d'un sentiment énergique. Chaque rêve finit par trouver sa forme. Il y a des ondes pour toutes les soifs, de l'amour pour tous les cœurs. Et puis rien ne fait mieux passer la vie que la préoccupation incessante d'une idée, qu'un idéal, comme disent les grisettes... Folie pr folie, prenons les plus nobles. Puisque nous ne pouvons décrocher le soleil, il faut boucher toutes nos fenêtres et allumer des lustres dans notre chambre. [...] Il est passé rue Richelieu pour avoir de ses nouvelles. « Vous ne viendrez donc jamais à Paris ! votre exil est donc éternel ! on lui en veut donc à cette pauvre France ! [...] Si j'ai compris la joie dont vous m'avez parlé j'ai compris aussi les tristesses que vous m'avez tues. Quand les journées seront trop longues ou trop vides, pensez un peu à celui qui vous baise les mains bien affectueusement ».... Correspondance (Pléiade), t. II, p. 664.
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