FLAUBERT Gustave (1821-1880).

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FLAUBERT Gustave (1821-1880).
L.A., [Croisset] Dimanche matin [9 août 1846], à Louise COLET ; 4 pages in-4. Très belle et longue lettre d'amour au début de leur liaison. « Enfant ta folie t'emporte - Calme-toi, tu t'irrites contre toi-même, contre la vie. Je t'avais bien dit que j'avais plus de raison que toi. Crois-tu aussi que je ne sois pas à plaindre. Ménage tes cris. Ils me déchirent. - Que veux-tu faire ? Puis-je quitter tout et aller vivre à Paris. C'est impossible. Si j'étais entièrement libre, j'irais - oui, car toi étant là je n'aurais pas la force de m'exiler, projet de ma jeunesse et qu'un jour j'accomplirai. Car je veux vivre dans un pays où personne ne m'aime, ni ne me connaisse, où mon nom ne fasse rien tressaillir, où ma mort ou mon absence ne coûte pas une larme. J'ai été trop aimé, vois-tu, tu m'aimes trop. Je suis rassasié de tendresses et j'en veux toujours, hélas ! - tu me dis que c'est un amour banal qu'il me fallait. Il ne m'en fallait aucun ou le tien, car je ne puis en rêver un plus complet, plus entier, plus beau - il est maintenant dix heures, je viens de recevoir ta lettre et d'envoyer la mienne, celle que j'ai écrite cette nuit. - À peine levé je t'écris encore sans savoir ce que je vais te dire - tu vois bien que je pense à toi - ne m'en veux pas quand tu ne recevras pas de lettres de moi. Ce n'est pas ma faute. Ces jours-là sont ceux où je pense peut-être le plus à toi. Tu as peur que je ne sois malade, chère Louise, les gens comme moi ont beau être malades, ils ne meurent pas. J'ai eu toute espèce de maladies et d'accidents, des chevaux tués sous moi, des voitures versées et jamais je n'ai été écorché. Je suis fait pr vivre vieux, et pour voir tout périr autour de moi et en moi. J'ai déjà assisté à mille funérailles intérieures. - Mes amis me quittent l'un après l'autre - ils se marient, s'en vont, changent - À peine si l'on se reconnaît et si l'on trouve qq chose à se dire. Quel irrésistible penchant m'a donc poussé vers toi ? J'ai vu le gouffre, un instant j'en ai compris l'abîme puis la vertige m'a entraîné. Comment ne pas t'aimer, toi, si douce, si bonne, si supérieure, si aimante, si belle. Je me souviens de ta voix quand tu me parlais le soir du feu d'artifice. C'était une illumination pour nous et comme l'inauguration flamboyante de notre amour - ton logement ressemble à un que j'ai eu à Paris pendant près de deux ans, rue de l'est 19. Quand tu passeras par là, regarde le second. De là aussi la vue s'étendait sur Paris, dans l'été, la nuit je regardais les étoiles, et l'hiver le brouillard lumineux de la grande ville qui s'élevait au-dessus des maisons. on voyait comme de chez toi des jardins, des toits, les côtes environnantes. Quand je suis entré chez toi, il m'a semblé me retrouver dans mon passé et que j'étais revenu à un de ces crépuscules beaux et tristes de l'année 1843 quand je humais l'air à ma fenêtre, plein d'ennui et la mort dans l'âme. Si je t'avais connu alors ! pourquoi donc cela n'a-t-il pas eu lieu. J'étais libre, seul, sans parents ni maîtresse car je n'en ai jamais eu de maîtresse. Tu vas croire que je mens. Je n'ai jamais rien dit de plus exact et la raison la voici. Le grotesque de l'amour m'a toujours empêché de m'y livrer. J'ai qqfois voulu plaire à des femmes, mais l'idée du profil étrange que je devais avoir dans ces moments-là me faisait tellement rire que toute ma volonté se fondait sous le feu de l'ironie intérieure qui chantait en moi l'hymne de l'amertume et de la dérision. Il n'y a qu'avec toi que je n'ai pas encore ri de moi. Aussi quand je te vois si sérieuse si complète dans ta passion, je suis tenté de te crier : Mais non, mais non, tu te trompes, prends garde, pas à celui-là ! Le ciel t'a fait belle - dévouée - intelligente, je voudrais être autre que je ne suis pr être digne de toi. Je voudrais avoir les organes du cœur plus neufs. Ah ! ne me ranime pas trop, je flamberais comme la paille. Tu vas croire que je suis égoïste, que j'ai peur de toi, eh bien oui, j'en suis épouvanté de ton amour parce que je sens qu'il nous dévore l'un l'autre - toi surtout - tu es comme Uggolin dans sa prison. Tu manges ta propre chair pr assouvir sa faim. - Un jour, si j'écris mes mémoires, la seule chose que j'écrirai bien, si jamais je m'y mets, ta place y sera, et quelle place ! car tu as fait dans mon existence une large brèche. Je m'étais entouré d'un mur stoïque. Un de tes regards l'a emporté comme un boulet. - Oui, souvent il me semble entendre derrière moi le froufrou de ta robe sur mon tapis. Je tressaille et je me retourne au bruit de ma portière que le vent remue comme si tu entrais, je vois ton beau front blanc. Sais-tu que tu as un front sublime - trop beau même pr être baisé - un front pur et élevé, tout brillant de ce qu'il renferme. Retournes-tu chez Phidias [le sculpteur Pradier] ? dans ce bon atelier où je t'ai vue pr la première fois au milieu des marbres et des plâtres antiques »... Il trouvera un prétexte pour aller retrouver Louise à Mantes : « Mais à
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